Lettre Juillet 2024

Chères donatrices, chers donateurs

Tellement, tellement de tristesses envahissent mon cœur depuis quelques semaines. Tellement de questions, de non compréhension, de doute et de colère. Des êtres humains, tous créés par Dieu, jetés bafoués, abandonnés. Par quelques malfrats qui ne pensent qu’à s’enrichir, par des personnes sans scrupules, des gens qui oublient qu’un jour ils vont devoir rendre des comptes de leurs actes et que tout est marqué dans notre livre de vie. Mais ça, quand on est bien riche, quand on a le ventre plein, quand on est obsédé que par l’argent, on l’oublie.

Vous allez me demander chères amies, chers amis, pourquoi tant de mots amers et durs. Pourquoi Mme Lotti qui est depuis plus de 25 ans sur le terrain et qui pleure depuis longtemps, finie par être découragée parfois. Parce que la vie est injuste, parce que d’un côté il y a trop et de l’autre pas assez et parce que beaucoup de gens ont oublié de partager et de chercher le bienêtre pour tous. Ma lettre trimestrielle vient avec un peu de retard et je vous demande pardon, on a tellement de travail ici et les évènements nous submergent. Pendant cette semaine j’ai accompagné deux malades chez nous à l’hospice. Une toute jeune maman souffrant d’un cancer fulgurant et un monsieur qui avait abandonné son traitement. Il avait une Tuberculeuse extra pulmonaire, une grosse tumeur sur la tête, une insuffisance rénale et qui convulsait sans arrêt. Dieu était clément et ne l’a pas laissé souffrir trop longtemps. Les deux reposent en paix, probablement pour la première fois de leur vie.

Mais tout d’abord j’espère que vous allez bien, et que vous êtes en bonne santé.

Je vais vous raconter deux évènements qui ont fait des nouvelles cicatrices dans mon cœur. Je ne sais pas combien de cicatrices il est encore capable de ramasser.

PAPA ALASSANE

Papa Alassane - son fils nous l’a amené sur son dos

Il a 82 ans. Il vivait avec ses enfants paisiblement dans sa cour familiale qu’il habite depuis 64 ans. Il est aveugle et a un plaisir immense de sortir le matin de sa case pour écouter ses petits-enfants jouer, leurs mamans cuisiner, laver la lessive, papoter. Il est heureux d’avoir eu 16 enfants. Dieu lui en a pris deux, il me raconte, et Dieu sait pourquoi. Il est beau, Papa Alassane, avec ses cheveux tout blancs et sa belle barbe. Et de ses yeux sort une lumière qui reflète la beauté de son âme. Il est arrivé le dimanche 2 juin. Avec son fils Moussa. Les Caterpillar sont venus la nuit dans son quartier et lui ont dit : « Oh, le vieux, tu dois ramasser tes affaires, on va venir casser ta cour demain nuit ! » Il ne le savait pas, ou ne voulait pas le savoir. Il a juste eu le temps de ramasser quelques vêtements et d’embrasser ses enfants et petits-enfants qui allaient, on ne sait où, et abandonner sa cour qu’il a fait construire 64 ans en arrière. Sans alternative, sans indemnité, il faut juste partir. Juste sauver sa vie. Nous avions une case de libre à Ayobâ, notre village, on l’a nettoyé, moi-même, je me suis acharné de passer la serpillère et mon personnel le sait. Si on voit Madame Lotti en train de s’activer en rage et que ses larmes coulent, il faut la laisser faire, c’est que son cœur saigne et aucune parole, aucun geste peut la calmer. Papa Alassane est arrivé, petit monsieur digne, magnifique en louant Dieu et le Centre l’Espoir de tant de gentillesse. Il était bien accueilli, car en Afrique on aime les Seniors et on ne peut pas les voir souffrir. Ça fait juste une semaine qu’il est avec nous, triste et abattu, mais vivant.

Pendant cette semaine on m’a amené beaucoup de personnes qui ont dû quitter les quartiers. Des personnes âgées comme Papa Alassane, portées sur le dos, comme un enfant. Des personnes un peu obèses mis dans des brouettes, des femmes et des enfants en pleur, ne sachant plus où aller, car les églises, les mosquées sont déjà occupées. Heureusement que les élèves sont en vacances, il y a de la place dans les écoles. D’autres se sont réfugiés sur les cimetières. Ils sont déjà à moitié morts. Et en plus nous sommes dans la grande saison des pluies.

J’ai eu en cinq jours 1250 personnes dans mon bureau sociale. Tellement de pauvres gens, tellement la pauvreté a augmenté. Le niveau de vie aussi, tellement de familles vivent en dessous du seuil de la pauvreté. La facture d’électricité a triplé en quelques mois. Quand je vois les magnifiques infrastructures, les boutiques de luxe, les supermarchés Français qui fleurissent je suis vraiment triste.

Derniers biens parmi les débris

Awa et ses frères et sœurs

Elle a 18 ans, Samira 15, Hamed 16, Fadil 10 et les jumeaux Souman et Djennatou 7 ans. Leur maman est morte il y a deux ans et le père les a abandonnés. Ils vivent dans une maison inachevée à ras le sable, sans eau, sans électricité. Awa et Samira travaillent tous les jours chez une dame qui a un restaurant, elles font le ménage et reçoivent 1000 Francs CFA – soit l'équivalent d'environ 1 franc 50 suisse – et les restes de la nourriture. Avant la mort de leur maman ils vivaient à Adjouffou et allaient à l’école. Mais depuis la naissance du petit Souman qui souffre d’une hydrocéphalie les gens les ont chassés les traitants d’enfants maudits.

Lits en cartons et en chiffons

Hamed travaille comme aide mâcon pour gagner un peu d’argent afin d’aider les grandes sœurs. Fadil reste à « la maison » pour surveiller les petits. Lui et les petits ne vont plus à l’école à défaut d’argent. Je les ai connus cette semaine parce que Awa m’a amené Samira soufrant d’un paludisme grave, anémiée et amaigrie. On l’a accueilli chez nous à l’hospice pour la soigner. Elle mange bien et va déjà beaucoup mieux. Je demandais Awa comment qu’ils arrivent à vivre, dans ces ruines, sans porte ni fenêtre, avec des cartons et bouts de tissue en guise de lit poser sur le sable. Sans eau ni électricité. Elle me dit qu’ils récoltent l’eau des pluies et allument un petit feu. Et qu’ils ont la prière pour les protéger. Souman a besoin d’une intervention chirurgicale pour opérer son Hydrocéphalie, mais ça, c’est juste un rêve. Si on ne l’opère pas il va finir par mourir dans de grandes souffrances. Il saigne déjà du nez et a des maux de tête insupportables. Qu’est- ce qu’ils s’aiment ces enfants, quel sens de responsabilité, quelle maturité, quel courage ! Et maintenant ils ont trouvé le chemin chez nous et on va pouvoir leur aider. Dignement.

Souman dans son foyer

C’est tout ça qui me fait mal. Mal comme au premier jour, même un peu plus, car j’ai l’impression de devenir plus vulnérable, j’ai l’impression que mon cœur aussi a vieilli et qu’il saigne plus vite qu’avant. Mais ce n’est pas juste, c’est juste la pauvreté qui a augmenté et qu’on veut cacher, ignorer, qu’on méprise et qu’on jette en la déguerpissant.

Awa et ses frères et sœurs devant leur «maison»

Heureusement que nous avons toujours, toujours et encore les sourires de nos enfants, les remerciements de nos mamans, l’aide de notre magnifique personnel et surtout nous continuons de recevoir les forces nécessaires d’essayer de nous battre pour construire un monde meilleur. Pour rassembler au lieu de détruire.

Et aussi grâce à votre aide, chères donatrices, chers donateurs. Je ne saurais jamais vous remercier assez. Que Dieu vous bénisse.

Recevez, chères amies, chers amis, mes salutations les plus chaleureuses

Lotti Latrous